"Nos Limites, notre humanité" : un article de Françoise Delsol.

"Nos Limites, notre humanité" : un article de Françoise Delsol.

Valeurs Actuelles, 18 août 2014

Un article de Chantal Delsol, philosophe et membre de l’Institut, dans Valeurs Actuelles.

 

La question écologique et les réformes dites de société nous imposent de penser les limites à l’action humaine. Jamais cette interrogation n’a été aussi cruciale. Un bel ouvrage de Gaultier Bès, Marianne Durano et Axel Rokvam vient de sortir qui s’intitule Nos limites, pour une écologie intégrale (Le Centurion). Les ressources désormais sans fin de la technique permettent à l’humanité de détruire la nature censée nous survivre, qui devrait demeurer le monde des générations futures. Mais elles permettent aussi d’engendrer des monstres, ce que sont à leur excès lesdites réformes sociétales. Qu’est-ce qu’un monstre ? Le moment contemporain veut nous faire croire que cela n’existe pas, que c’est une notion périmée datant des religions, qu’en réalité tout est possible et qu’en conséquence tout est normal puisque rien ne l’est. Nous ne pourrions plus être dénaturés, puisqu’il n’y a pas de nature. Il n’y aurait pas de limites à nos désirs, puisque la technique nous permet tout et puisque les religions ne nous interdisent plus rien…

C’est le contraire. Plus nous avons de moyens pour produire des humains au lieu de les procréer, pour brouiller les générations et les filiations, pour engendrer de l’aberrant et du bizarre, plus nous avons besoin de penser les limites. Les deux totalitarismes du XXe siècle proviennent de la terrible certitude que “tout est possible”. Notre sagesse doit venir au secours des abus de notre pouvoir. Faute de quoi, l’horreur nous attend.

Ne croyons pas une seconde que seules les religions sauvegardent les limites. Quelle que soit l’admiration qu’on a pour Dostoïevski, il n’est rien de plus faux que son célèbre « Si Dieu n’existe pas, tout est permis ». Les limites humaines sont d’abord sauvegardées par le sens commun qui fait la coutume, et les religions s’installent dans ces habitacles coutumiers qu’elles institutionnalisent. Les Grecs anciens à partir des lois coutumières pensaient la loi naturelle, à tel point que l’une et l’autre se distinguent peu dans l’histoire d’Antigone. Sénèque écrit dans son Phèdre : « Même chez les sauvages cela ne se fait pas, cela ne s’est jamais vu / Regarde / Les Gètes vagabondent sans feu ni lieu / Les peuples du Taurus égorgent les voyageurs / Les Scythes errent sans foi ni loi / Mais tous interdisent l’inceste. »

La liberté ouvre toutes les portes. Les Grecs, qui ont inventé la liberté, inventèrent aussi le nihilisme. Diogène le Cynique, récusant les interdits sociaux, récuse aussi les limites les plus profondes en prônant l’inceste — et c’est ainsi qu’il est dit le chien (le Cynique), retourné à l’état naturel, en réalité hors humain. Pour les Grecs, les limites ne proviennent pas des interdits divins, ou plutôt ceux-ci ne font qu’assumer la nature. Si l’on sort de l’équilibre où peuvent vivre les humains, alors le monde peut trembler. Il suffit de relire l’histoire de Médée, dont Sénèque dit qu’elle profane l’ordre du monde. Les actes de Médée sont reliés par le dramaturge aux désordres perpétrés par les hommes dans la nature. Au moment où les Atrides se livrent à toutes sortes d’infamies, en même temps ils rompent et transgressent les barrières de l’espace, dévorent les limites géographiques et terrestres soumises à leur caprice. Se rejoignent le chaos sur la terre et le chaos dans la société des hommes.

La raison de tout cela ? L’orgueil humain et sa démesure. La folle volonté de tout maîtriser, bientôt commuée en folie destructrice. Et comme le dit Fabrice Hadjadj dans une belle analyse qu’il fait de Sénèque : « Si tu ne parviens plus à faire face à la tempête, deviens toi-même tempête. » L’orgueil de la démesure engendre le crime. Nos lois “sociétales” sont en train de glisser sur cette pente fatale.

Nos contemporains s’imaginent qu’en tournant le dos aux religions ils se sont rendus maîtres du destin et capables de dépasser la finitude humaine. Soyons laïcs, et tout redeviendra possible… Nous pourrons louer des ventres de femmes, produire des enfants aux filiations défoncées, faire croire à l’opinion émerveillée qu’un couple d’hommes attend un enfant… Ce ne sont ni les pouvoirs ni les religions qui décrètent nos limites. C’est la conscience inquiète de chaque époque. Si par orgueil nous cessons de nous poser la question des limites, nous quittons notre humanité.

Revue de presse

FC le 06.05.2019

 « C'est en pointant leurs doigts potelés sur les imagiers que les enfants apprennent à nommer les mille et une choses que contient le vaste monde. 

L'Homme Nouveau, 10 septembre 2016
"Le féminisme a connu ses heures de gloire mais Gabrielle Cluzel lui prédit une fin toute proche."
 
Zélie n°12, septembre 2016
Zélie vous recommande le discours d'Ozanam, "Des devoirs littéraires des chrétiens" !
Contrepoints, 3 juillet 2016
"Sous prétexte de libération des femmes, le féminisme a nié la féminité."
Le Figaro Magazine, 13-14 mai 2016
"Adieu Simone !", "Une femme contre le féminisme"
 
L'Homme Nouveau, 29 juin 2016
Éloge appuyé du livre "Épouse-la et meurs pour elle" !
Zélie, mai 2016
Belle recension de l'essai "Adieu Simone !" dans Zélie
"Ce soir (ou jamais !)", France 2,11 mars 2016
L'une des co-auteurs de "Nos limites" s'exprime sur les progrès de l'intelligence artificielle.