Découvrez la tribune publiée par Gaultier Bès dans Figarovox le 18 juin 2015 !
FIGAROVOX/ANALYSE - L'encyclique du Pape sur l'écologie s'inscrit dans une grande tradition de la pensée catholique, explique Gaultier Bès, jeune professeur de lettres modernes.
Gaultier Bès, 26 ans, professeur agrégé de lettres modernes, auteur de «Nos Limites: pour une écologie intégrale» (Le Centurion, 2014, avec Axel Rokvam et Marianne Durano).
Il s'occupe également de la revue Limite dédiée à l'écologie intégrale.
Le pape François n'est pas vert. Il est chrétien. Il n'est même pas écologiste. Il est catholique. La publication de l'encyclique Laudato si' sur la «sauvegarde de la maison commune», tant attendue en cette année décisive pour le climat, est un événement, mais pas forcément celui qu'on croit. Les observateurs attentifs savent bien en effet que, de la Genèse à l'Apocalypse, des Psaumes à sainte Hildegarde de Bingen, de l'arche de Noé au Cantique des créatures, la question écologique n'a jamais été ignorée par la tradition chrétienne. François lui-même s'inscrit dans les pas de ses prédécesseurs: Paul VI parlant d'une «exploitation inconsidérée de la nature», Jean-Paul II d'une «écologie humaine authentique», enfin, Benoît XVI du «livre de la nature unique et indivisible».
«Rien de nouveau sous le soleil», en somme, pourrait-on être tenté de dire. Pourtant déjà résonnent les cris d'orfraie. Les libéraux-conservateurs hurlent au dévoiement crypto-marxiste, tandis que les libéraux-libertaires célèbrent la métamorphose du Pape en «conscience» droit-de-l'hommiste et policée. D'un côté, à les en croire, Che Guevara avec une mitre, de l'autre, Bernard Kouchner en soutane blanche. Double fantasme, double aveuglement. La vérité, c'est que le Pape se radicalise, mais dans le sens des Évangiles. Dénonçant «le mythe moderne du progrès matériel sans limite», il affirme que «la meilleure manière de mettre l'être humain à sa place, et de mettre fin à ses prétentions de dominer la terre, c'est de proposer la figure d'un Père créateur et unique maître du monde, parce qu'autrement l'être humain aura toujours tendance à vouloir imposer à la réalité ses propres lois et intérêts». La vérité, c'est que le Pape n'est pas l'apôtre de Gaïa, mais du Christ.
Laudato si' est autant une déclaration d'amour à la Création divine, œuvre d'amour, qu'une déclaration de guerre à tout ce qui la défigure, à commencer par le refus des limites que manifestent un système de production fondé sur la «maximalisation du gain» au détriment des milieux naturels et sociaux, un consumérisme obsessif et une technocratie invasive. Le pape François accuse une certaine «démesure anthropocentrique» moderne, qui oublie que l'homme est à la fois dans et de la nature, et qu'il ne peut prétendre s'en abstraire sans se défigurer lui-même. À cet égard, le principal intérêt de cette encyclique réside dans une évolution sémantique extrêmement significative: aux expressions d'«humanisme intégral» (Jacques Maritain, 1936) et de «développement intégral» (Paul VI, 1967), François substitue celle d'«écologie intégrale», comme pour mieux signifier qu'on ne peut vouloir le bien de la famille humaine si l'on ne met pas tout en œuvre pour préserver l'ensemble de la Création.
Si ces trois notions sont complémentaires, le mot écologie a un sens plus englobant, plus inclusif, plus universel. Mais pour le Pape, parler à la suite de François d'Assise de «sœur notre mère la terre», ce n'est pas céder au paganisme biocentriste (qui nie la spécificité humaine dans l'univers), encore moins au malthusianisme anthropophobe, c'est rappeler que le nom Adam, comme celui d'humain, renvoit à la terre dont Dieu nous a pétris, et que, du respect des embryons à celui des écosystèmes, tout est lié.
Avis à ceux qui voudraient que l'écologie pontificale soit hémiplégique, c'est-à-dire exclusivement «naturelle» ou exclusivement «humaine»: elle est indissociablement environnementale, morale, économique, sociale et politique. Face à l'accélération des changements climatiques et à la raréfaction des ressources vitales telles que l'eau, elle invite autant à la responsabilité individuelle qu'aux changements institutionnels. Il s'agit de «ralentir la marche de la frénésie mégalomane» dans un monde fragile et fini, en renonçant au «rêve prométhéen de domination sur le monde» et à l'illusion selon laquelle «l'économie actuelle et la technologie pourraient résoudre tous nos problèmes».
François n'hésite pas à mettre directement en cause les principaux responsables de cette «seule et complexe crise socioenvironnementale» que sont les bénéficiaires d'un «système de relations commerciales et de propriété structurellement pervers». Il appelle même, dans certains cas, à la «subordination de la propriété privée à la destination universelle des biens», voire à une forme de «décroissance», tant «les limites maximales d'exploitation de la planète ont été dépassées, sans que nous ayons résolu le problème de la pauvreté».
Tel est l'esprit de l'écologie intégrale prônée par le pape François. Parce que la nature est une, on ne peut choisir Gaïa contre Gaëlle, les petits phoques contre les agonisants, les icebergs contre les trisomiques, les mangroves contre les migrants. Elle est intégrale comme l'Église est catholique, c'est-à-dire universelle: elle embrasse tout et tous, soucieuse de veiller à préserver la totalité de cette merveille ineffable qu'est la Création. Espérons que les hommes et les femmes de bonne volonté sauront trouver dans cette riche encyclique des repères pour initier cette «révolution culturelle courageuse» que requiert la gravité de la situation et retrouver la joie et la paix d'une «maison commune» réconciliée avec elle-même.