Vous introduisez le propos de votre livre Qu’est-ce qu’un fasciste ?... et autres profils politiques en remarquant que les termes définissant des postures d’engagement sont souvent connotés négativement, quand ils ne servent pas d’injures. Est-ce le signe de l’irréductibilité de ces positions ou bien s’agit-il d’un dévoiement de la parole politique qui devrait composer entre elles ?
Jean-Noël Dumont : Telle est bien la question politique : peut-on échapper à la violence ? La grandeur du politique est de ne pas reculer devant la violence, mais c’est aussi sa faiblesse, toute pensée devenant alors un moyen d’action, un slogan, et tout adversaire un ennemi. Les philosophes, eux, depuis Socrate, s’intéressent à leurs adversaires, ils voudraient en faire des interlocuteurs. Comme si le débat politique pouvait devenir un dialogue... A-t-on jamais vu cela sur nos écrans ? Un dialogue ? Un candidat à une élection qui dirait : « ah merci ! Sur ce point vous m’avez éclairé... » ? C’est l’exercice auquel j’ai voulu me livrer : rendre l’autre pensable. C’est ainsi, par exemple, que j’ai voulu rendre le fascisme pensable. Certains s’en effarouchent : penser le fascisme, n’est-ce pas déjà s’en faire complice ? En philosophe, je crois pourtant que l’exercice de la pensée est le chemin pour dépasser la violence... Mais le fasciste lui-même sera- t-il satisfait de se voir pensé ? Ce n’est pas sûr !
Vous vous proposez de caractériser ces différentes postures politiques, non pas en historien des idées, mais en portraitiste : et vous vous saisissez ainsi du socialiste, celui du libéral, celui du conservateur... Pourquoi cette typologie ?
En amont des convictions et des pratiques je montre qu’il y a un « style » reconnaissable, une manière de se rapporter au monde précisément parce que l’enjeu politique est total. S’il est vrai que les dénominations de socialiste, de libéral, de conservateur, sont nées au XIXe siècle quand celui-ci a eu à penser l’héritage de la Révolution, c’est-à-dire toutes les possibilités de régimes, les « styles », les « profils politiques » auxquels ces dénominations correspondent, se reconnaissent pourtant à toutes les époques. Ils ne concernent d’ailleurs pas que l’économie, la culture ou même le pouvoir. N’est-il pas vrai que dans une campagne électorale nous sommes plus sensibles à un style qu’à un programme ? On peut ici penser à la formule de Buffon : « le style c’est l’homme ».
Quel regard, justement, portez-vous sur la campagne électorale actuelle ? Quelle contribution espérez-vous y apporter par votre livre ?
J’espère que mon petit livre vivra plus longtemps qu’une campagne électorale ! L’étonnant dans celle qui se déroule actuellement est la disparition presque complète, sans doute provisoire, de la référence socialiste. Mais les lecteurs pourront s’intéresser à reconnaître dans tel ou tel propos des enjeux plus fondamentaux. Cette enquête leur permettra, justement, d’identifier des « profils » plus que des doctrines. Les candidats, en effet, ne peuvent pas se présenter au nom d’une doctrine, ils n’auraient plus alors que des disciples... or il leur faut des électeurs !
Pour finir : selon le portrait que vous proposez du fasciste, que diriez-vous de Vladimir Poutine ?
Vous me posez la question alors qu’il envoie une armada déferler sur l’Ukraine afin, dit-il, de « dénazifier » le régime ! Ce qui montre bien que ces mots ne valent ici que comme slogans. Poutine laisse reconnaître deux des traits par lesquels je peins le fasciste : il méprise les libertés publiques et il est porté par une nostalgie. Cela en fait-il un fasciste ? Je ne le vois pas applaudi par des masses galvanisées... Ainsi tout régime totalitaire n’est pas fasciste : je devrais peut-être ajouter un chapitre à mon livre !
Propos recueillis par Jean Paul Mongin